Né au Liban, de nationalisé Suisse, Nicolas Hayek est de ces hommes qui bâtissent des empires à la seule force de leurs bras. Lui qui disait avec malice qu’ « être entrepreneur est un métier d’artiste » a tout simplement sauvé l’industrie horlogère helvétique avec une petite montre en plastique : la Swatch. Retour sur le parcours exceptionnel d’un visionnaire et d’un grand personnage de l’horlogerie.
Nicolas Hayek, de la fonderie à l’horlogerie
Né à Beyrouth, au Liban, en février 1928, Nicolas Hayek est bercé par la culture française depuis son plus jeune âge. Son père, dentiste et professeur d’université, l’envoie suivre ses études supérieures à Lyon. Avec, à 20 ans, une licence de mathématiques et de physique en poche, il trouve un stage dans une compagnie de réassurance à Zurich.
Le début de sa vie professionnel
C’est en Suisse, en 1949, qu’il rencontre sa femme. Quand le père de celle-ci est victime d’un problème de santé, la famille propose à Hayek de reprendre en main la petite fonderie familiale spécialisée dans les sabots de freins destinés aux trains suisses. Boostée par la stratégie marketing audacieuse mise en place par le jeune entrepreneur, l’entreprise gagne en popularité et en parts de marché. C’est sur le tas que Nicolas apprend les problématiques industrielles, une étape précieuse dans sa formation professionnelle et intellectuelle.
En 1963, à l’âge de 35 ans, il fonde Hayek Engineering Inc. à Zurich, une société de conseil. Il est désormais officiellement Suisse. Les 250 consultants qui travaillent pour lui sont sollicités pour auditer diverses administrations : des villes (Zurich), des constructeurs automobiles (Renault, BMW), des institutions (l’armée suisse), des entreprises diverses (Siemens, Ringier, Nestlé). Il devient une sorte de gourou planant sur l’industrie helvétique.
Son début dans l’horlogerie
Au début des années 80, il est sollicité pour mener une étude sur la situation du secteur horloger national. Depuis la fin de la décennie 70, la concurrence de la montre à quartz, venue du Japon, menace de faire s’effondrer l’empire mécanique suisse. Cet audit pousse Hayek à critiquer sévèrement un secteur figé dans le haut de gamme, incapable de s’adapter aux évolutions économiques mondiales. Les grandes marques ont bien essayé de baisser leurs prix, mais le coût de la main-d’œuvre helvétique ne pouvait pas concurrencer celui, bien moindre, des travailleurs japonais d’alors. La part de marché de la Suisse dans ce secteur est passée de 50 % à 15 % en 5 années.
Le bilan catastrophiste établi par Hayek lui donne l’envie d’en prendre le contre-pied : et si l’on produisait, en Suisse, des montres à moins de 100 € ? Voilà son idée. C’est la naissance de la Swatch, montre de d’entrée de gamme qui ringardise immédiatement les modèles de luxe de ses concurrents.
Le lancement de la Swatch et du SMH
Avec le succès de la Swatch, Hayek s’impose comme le nouveau roi de la montre suisse. Et sauve du naufrage l’industrie horlogère de son pays. En 1983, il fonde la Société de Microélectronique et d’Horlogerie (SMH), à Bienne, dont il devient à la fois président et directeur. Puis il s’empresse de racheter les grands noms de l’horlogerie de luxe : Blancpain, Breguet, Jaquet Droz, Glasshüte Original et Léon Hatot entrent en sa possession. En parallèle, il prend en charge les lignes de montres de chez Calvin Klein et Tiffany. Le voilà, en à peine quelques années, devenu numéro un mondial avec 25 % du marché, laissant derrière lui les prestigieux Rolex, LVMH et Richemont.
C’est en 1998 que la SMH sera officiellement rebaptisée Swatch Group, en hommage à la montre qui a fait son succès. En 2009, l’empire fondé par cet homme, fort de 19 marques, pèse 5,4 milliards de francs suisses. 24 000 employés travaillent dans ses 160 usines. Swatch Group fait en outre la pluie et le beau temps dans l’horlogerie helvétique, en étant le principal fournisseur des composants nécessaires à la fabrication des montres.
L’entrepreneur et l’homme
Nicolas Hayek n’était pas seulement un maître d’œuvre génial. Il s’est également distingué par sa grande humanité, lui qui refusait de considérer la main-d’œuvre comme une variable d’ajustement dont on peut se débarrasser au moindre sursaut. Au pire de la crise de 2008, alors que l’économie mondiale est en récession et que les entreprises du monde entier licencient à tour de bras, il s’efforce de pas mettre au chômage les employés de ses sites. D’un autre côté, il n’hésite jamais à critiquer les acteurs du secteur de la finance et à remettre en cause leur avidité. Et pour cause : au début des années 80, analystes financiers et investisseurs lui recommandaient de ne surtout pas mettre le nez dans l’horlogerie suisse…
Au fil de son parcours, Hayek ne s’est d’ailleurs pas contenté de révolutionner l’horlogerie. Il a également participé à la course en se faisant l’observateur de l’économie. Voici quelques dates importantes dans sa carrière non-horlogère :
- En 1995, il nommé au Council for Research, Technology and Innovantion for the future of Germany and Europe par Helmut Kohl, alors chancelier allemand.
- En 1996, le gouvernement d’Alain Juppé le nomme à la tête d’un groupe de réflexion français qui s’occupe d’établir les futures stratégies économiques nationales.
- En 1996 et 1998, il est élevé au rang de docteur honoris causa en économie aux universités de Neuchâtel et de Bologne.
L’homme a également œuvré pour l’automobile. En 1993, il a l’idée de lancer sur le marché une petite voiture citadine, dédiée au transport personnel, vouée au déplacement (et au stationnement) dans les grandes villes et dotée de vertus écologiques. Soit tout le paradigme de la mobilité individuelle près de 10 ans avant tout le monde. Ce sera la future Smart (contradiction de Swatch, de Mercedes et d’Art). Mais les choix du constructeur automobile partenaire d’Hayek conduiront le véhicule très loin des désirs originaux de son inventeur.
La Swatch, coup d’éclat d’un « faiseur d’idées »
Souvent élevé au même rang que les plus grands entrepreneurs de la fin du XXe siècle, notamment du fait d’un mélange d’ingéniosité et de caractère bien trempé, Nicolas Hayek fut à l’horlogerie ce que Steve Jobs ou Bill Gates furent à l’informatique : un visionnaire. Il a suffi d’une invention : une montre en plastique à bas prix, la Swatch. Mais cette création a ébranlé jusqu’aux fondations de l’horlogerie de luxe.
En 1983, Hayek prend en main la fusion de deux sociétés horlogères suisses en mauvaise santé : SSIH (détendeur des marques Omega et Tissot) et ASUAG (Longines, Rado et le fabricant de composants ETA). C’est avec cette structure, rebaptisée SMH (Société suisse de microélectronique et d’horlogerie ), qu’il lance la Swatch : la première montre à quartz, en plastique, fabriquée en Suisse, au modeste coût de 50 francs suisses de l’époque (environ 40 € aujourd’hui). Un coup d’éclat qui lui permet, à lui tout seul, de redresser un secteur industriel dont les aiguilles ne tournaient plus rond.
L’idée qui préside à la Swatch est la suivante : simplifier considérablement les montres afin de les rendre meilleur marché tout en attaquant les Japonais sur leur point faible, le design. Contre la tradition qui veut qu’on acquiert un garde-temps pour la vie, il répond avec un mélange détonnant : la qualité suisse du mécanisme et le principe de la « seconde montre », Swatch étant une contraction des mots « Second Watch ». Une montre-accessoire de mode dont on changerait comme d’écharpe ?
Pari gagné. Depuis leur lancement en 1984, les montres Swatch se sont vendues à 400 millions d’exemplaires. Mais la Swatch n’est pas qu’une montre jetable, ou cheap. Symbole de prestige à part entière, tout en se voulant accessible au plus grand nombre, elle est aussi le vestibule qui mène le consommateur vers les autres marques du groupe, bien plus chères et dotées de « complications horlogères ». Une vision partagée par son fils, George Nicolas (dit Nick Hayek, qui en 2003 reprend la direction du groupe, 7 ans avant le décès de son fondateur.
En plus de l’exceptionnel réussite de Swatch, le président du Swatch Group va réussir a développé la plupart des marque du groupe comme :
- OMEGA : c’est aujourd’hui l’une des plus grandes entreprise de montres au monde (juste derrière son rival de toujours Rolex en terme de chiffre d’affaires)
- Breguet : la maison est aujourd’hui reconnu pour son savoir-faire unique dans la haute horlogerie, en digne héritière d’Abraham-Louis Breguet
- Longines : la marque de Saint-Imier est devenu un acteur incontournable dans une gamme de prix de 1000 à 5000 euros
- Tissot : l’entreprise du Locle est aujourd’hui l’une des marques les plus vendues au monde (la première marque suisse en nombre de vente)
Nicoals Hayek arborait toujours au moins 3 montres sur les bras (dont des Omega, Swatch ou Breguet). Comme pour s’assurer de n’être jamais en retard sur ses propres idées. Un homme tel que lui risque de manquer à l’industrie à une époque où les téléphones portables sont en passe de remplacer les montres quand il s’agit de donner l’heure.